J'ai commencé ce texte en novembre 2020, puis continué en janvier. Je l'avais laissé de coté, me semblant imparfait. Je le poste ici en tant que souvenir et témoignage. Je pense que j'aurais plaisir à relire cet essai pas tout a fait terminé, pas tout à fait rigoureux. Néanmoins il restera une vérité que j'aurais aimé partager plus tot, et que le décalage n'amenuise pas sa force.
- 20Q20
Il y a plus ou moins un an, quelque chose a vrillé. Un peu comme si nous étions passé de l’année 2020 à l’année 2Q20. Notre rapport au réel s’est distendu, le temps de descendre une volée d’escaliers.
Au départ, c’est l’étrange bruit d’une nature retrouvée qui m’a surprise, on entendait presque le silence, le bruit assourdissant de la ville s’était tu.
Seules les sirènes bravaient ces sons familiers devenus inaudibles;
Jamais je n’avais écouté d’oiseaux s’égosiller en pleine ville.
Puis, dans la rue, les sourires se sont glissés derrière des masques, ne restait plus que des regards parfois suspicieux, souvent compatissants.
C’était comme avant, mais pas tout à fait.
Le vent et les rares rayons de soleil n’effleurent plus mes joues.
C’est comme si maintenant mes gestes étaient manipulés par d’immenses bras invisibles, m’empêchant jusqu’au dernier instant d’entrer en contact physique avec un autre être humain.
C’est comme si mon instinct d’animal social était contrecarré par une nouvelle morale, et alors que mon esprit saisissant la nécessité mon âme en réfutait la mise en action.
2.Une guerre douce amer
Ce n’est pas la terreur, mais c’est sans doute le point de non retour. Cette nouvelle dimension si particulière dans laquelle nous plonge la pandémie est sans doute le « wake up call » nécessaire à une introspection profonde et collective sur notre propre espèce, sur les implications du vivre ensemble aujourd’hui, sur l’état de cette planète qui nous supporte.
Ce n’est pas la terreur, car l’assaillant, ce n’est pas l’autre. C’est notre propre ombre. Nous sommes - en tant qu’individus de l’espèce humaine - peut être tous moins coupable mais certainement individuellement tous responsable.
Pour ma part j’ai contracté le coronavirus en mars, juste avant le confinement, j’ai une idée précise de mes « patients 0 » (que je ne blâme absolument pas, loin de moi cette idée) , mais je ne pourrais jamais affirmer de ne pas avoir transmis ou véhiculé le virus à quelqu’un d’autre, je ne saurais jamais si mon comportement a impacté gravement la vie de quelqu’un ou si au contraire je ne l’ai transmis à personne. Même après la guérison, l’incertitude l’emporte et la responsabilité persiste. Cette responsabilité nouvelle est parfois dure à porter quotidiennement pour tout un chacun (alors imaginez ceux qui culpabilise de tout !).
Nul ne pourra dire qu’il aura été totalement irréprochable, ou alors il en aura été forcé, ce qui est difficilement pensable dans nos démocraties occidentales.
La guerre douce amer que nous vivons, elle est surtout psychologique. Dans le sens où nous nous faisons violence, et ce contre notre «besoin de faire société ». C’est une guerre de la culpabilité, alimentée par tout un tas de canaux officiels et officieux qui laisse la part belle aux complotismes, à l’infantilisation collective, à des jugements interpersonnels malaisants. Vous et moi avons accepté au nom du bien commun de mettre en gage nos libertés individuelles.
On compose, on s’accommode- pour les plus chanceux d’entre nous qui ne sommes ni au front, dehors, ni seul ni sans travail - on peut déjà dire que des traces tenaces vont s’ancrer dans notre psychisme et que nos liens sociaux vont s’en trouver modifier.
Globalement, on retient notre souffle et on avance même si nous n’avons pas été informé de la ligne d’arrivée de ce marathon.
2020 n’est pas la pire année, cela a peu de sens de le dire, comme l’explique Cyrus North, mais elle est très difficile sans aucun doute. Elle est aussi extrêmement riche en enseignement, à tous les niveaux.
On a surtout un idée un tout petit peu plus précise de ce qu’on vécu nos grands parents dans leur jeunesse. Rien à voir dans la forme, néanmoins on a chacun puisé en nous des ressources pour dépasser cette situation. L’incertitude du lendemain, l’angoisse, la peur, la contrition. Pour moi, trentenaire, et pour mes parents sexagénaires, qui n’avons jamais rien vécu de similaire en France, ce sera sans doute la période la plus marquante de notre vie, tant individuellement que collectivement, partagée par le monde entier (en tout cas j’espère, car s’il y a pire je dois me préparer maintenant !). Malgré nous, nous sommes en train de construire une mémoire collective autour du virus.
Je vous l’accorde, le terme de guerre ne me convient guère mais celui de crise non plus, car jamais une crise n’aura entravé notre liberté. En temps de paix, le salut de la nation n’a jamais été en danger. Je pense cependant sincèrement que les soignants dans les hôpitaux et les ephad ont eu un sentiment proche, je ne peux pas nier que nombre d’entre eux ont été littéralement en première ligne. Une amie me confie qu’elle n’aime pas le vocabulaire guerrier, emprunté par notre président. J’aime cependant le positif qu’il peut éveiller en nous, le sentiment de fédération, de participation immédiate à l’effort collectif, effort qui a bien sûr existé.
Néanmoins j’imagine que nous sommes bien dans un entre deux, alors laissez moi tenter avec zèle ce néologisme de « Grise », qui s’accorde parfaitement tant avec la morosité ambiante qu’avec la météo actuelle.
- Santé Mentale
Je nourrie beaucoup d’inquiétude pour tout ceux dont un accompagnement psychologique est devenu indispensable.
Il y a deux semaines, en allant au travail, je me suis faite agressée par un parfait inconnu, je marchais sur le trottoir prête à lancer un podcast quand un homme d’une trentaine d’années s’est avancé vers moi, et pensant qu’il voulait me demander quelque chose, je me suis tournée vers lui. Mais en un éclair il m’a arraché les écouteurs des oreilles, s’est agrippé à moi et m’a poussé sur la route en me hurlant « c’est pas légal ça ! C’est pas légal ça ! J’ai crié et lancé « mais ça va pas ? » Et l’homme est parti. Un monsieur s’est arrêté en voiture pour savoir si j’allais bien.
(Je reprends ce texte où je l’ai laissé, il y a quelques semaines déjà, c’était encore en 2020..)
Je réalise que mon texte en encore bien d’actualité à l’heure où l’on s’inquiète enfin publiquement de la santé mentale des étudiants.
Ces derniers jours je me faisais cette réflexion : nous avons accepté de nous couper (physiquement) de nos sphères amicales et familiales avec une facilité parfois effrayante. Nous nous sommes résignés à être la plupart du temps séparé, étant au plus près à la distance d’au moins un bras (tendu).
J’ai ces derniers jours aussi l’impression que cette solidarité universelle, cette union fédératrice du premier confinement s’est totalement détricoté depuis un bon moment déjà et que nous vivons davantage dans une individualité- sans doute protectrice- où le groupe social n’a plus sa place. Je m’aperçois vivre de plus en plus dans mon monde intérieur faute d’interaction sociale prolongée. Lorsque je vois mes proches j’ai ce sentiment à la fois de chance que notre rencontre soit possible et de tristesse de devoir calculer mes faits et gestes. Cette effet de contrition à tout a fait tuer ma spontanéité. Combien de temps encore puis-je contraindre mes marques d’affection et d’amour ? Il m’est difficile de ne pas avoir le sentiment de vivre ma sensibilité à moitié ! Comme je regrette cette défiance ambiante dans l’espace public, comme j’aimerais faire la connaissance de nouvelles personnes, j’ai soif d’ouverture et de découvertes humaines !
- In and Out in Metropolis
Cette « Grise » je la trouve doucement cruelle et ce, particulièrement dans la capitale. Cette vie citadine que nous avons choisi- ou subi, ou un peu des deux-, cette vie qui nous coûte financièrement mais que nous assumons car en retour elle nous offre des occasions infinies de rencontres artistiques, culturelles, humaines et bien d’autres, cette vie devient petit à petit de moins en moins tenable du fait de l’absence de cette précieuse contre partie.
Cette vie urbaine qui trouve son équilibre dans un chassé croisé de moments intérieurs et extérieurs, est devenue, lourde, paresseuse et foncièrement casanière. Mon appartement plus que mon cocon est désormais mon refuge, où je peux oublier mon inconfort.
C’est à dire que plus qu’ailleurs (hormis les autres grandes métropoles), nous supportons une charge mentale, allant parfois jusqu’à la dissonance cognitive. Entre confinement (le 2ème, où j’allais travailler) et couvre-feu, à 20h puis à 18h, la tête m’en tourne.
A vrai dire, J’ai souvent eu cette sensation en sortant de chez moi de savoir si j’étais dans les règles, si je n’avais pas oublié mon masque, si j’avais telle attestation, - ou si j’oubliais qu’à ce moment il n’en fallait plus- , bref, je me suis souvent terrorisée moi-même de devenir potentiellement une « hors la loi » pour le simple motif de : sortir de chez soi.
Alors, direz-vous, ça y est la morosité t’a gagné !Mais en fait pas vraiment, je pense en avoir encore un peu sous le pied. Je dirai que je suis surtout fascinée et terrifiée de cette période inédite, de cette vie contrainte qui m’apprend tellement sur notre espèce humaine, et je suis profondément curieuse de savoir ce que nous allons tirer de cette expérience en tant que communauté humaine.